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Balance ton proc !
LE 2 AVRIL, le vice-procureur se montre sans pitié envers un mari violent comparaissant devant le tribunal correctionnel de Nîmes. « Monsieur a un fonctionnement pathologique. Il s'inscrit dans la domination, la toute-puissance », clame-t-il dans son réquisitoire. Après avoir pointé « une personnalité extrêmement problématique », il requiert cinq ans de prison ferme. Quatre jours plus tôt, ce même magistrat était mis en examen pour « des faits de violences » sur sa conjointe « ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours ». En attendant d'être jugé, le proc continue de sévir contre les brutes conjugales.
Patrick Bottero bénéficie d'une réelle mansuétude de la part de ses pairs. Sa précédente compagne avait déjà déposé cinq plaintes pour violences, toutes classées sans suite par le parquet de Nîmes. L'année dernière, lorsque son actuelle conjointe avait porté plainte à son tour, ses avocats, Aurore Boyard et Olivier Morice, avaient dû ferrailler avec la procureure générale pour obtenir le « dépaysement » de l'affaire dans une autre juridiction.
Espoir à la barre
Depuis, deux magistrats lyonnais ont estimé les faits suffisamment graves pour mettre le vice-proc en examen. Ce dernier, via son avocate, n'a pas répondu aux sollicitations du « Canard ». Saisi par la plaignante, le Conseil supérieur de la magistrature a considéré, le 5 octobre dernier, qu'i>« une interdiction temporaire d'exercer n'[était] pas justifiée ». A l'issue d'une inspection administrative, la Direction des services judiciaires, quant à elle, a écarté, dans son rapport daté du 26 février, toute poursuite disciplinaire. C'est violent...
Le 2 février dernier, le garde des Sceaux se félicitait d'une baisse sensible des violences conjugales. « Des résultats porteurs d'espoir » qui s'expliquent, selon Eric Dupond-Moretti, par les « moyens que le ministère de la Justice a mobilisés ».
Et encore : pas en interne !
D. H. et C. L.
Bonne nuit, les petits
C'EST un vrai conte de fées qui s'est déroulé à Dijon, où un vice-président du tribunal chargé des affaires familiales a proposé, sur un site Internet libertin, les services de son épouse, magistrate elle aussi. Pas bien malin, mais le couple évolue dans ce milieu. Puis, mu par on ne sait quelle pulsion tordue, ce juge y a également offert les services de sa fille, âgée de 12 ans. Photos en maillot de bain à l'appui. Pas dingues, les usagers du site ont aussitôt signalé les faits aux flics, comme l'a révélé Europe 1. Interrogé et perquisitionné, le juge a reconnu, et, parlant de sa petite, a invoqué « des fantasmes, n'ayant abouti à aucun passage à l'acte ». Ouf !
L'affaire a été dépaysée à Besançon, où le gentil papa a été mis en examen et libéré sous contrôle judiciaire, le 12 juin, pour « provocation non suivie d'effet à la commission de crime de nature sexuelle contre des mineurs ». Un délit puni de 7 ans de taule. Dans la foulée, la ministre de la Justice a saisi le Conseil supérieur de la magistrature, qui va statuer sur la suspension du juge. Un si bon père !
Les coups de latte du parquet
IL FAUDRAIT une solide dose de vertu — ou d'inconscience ? — pour clamer bien haut, ces temps-ci : « J'ai confiance dans la justice de mon pays ! » En quelques semaines, le crédit de I 'institution en a pris pour son grade. Si c'était une valeur du CAC 40, il serait grand temps de vendre.
Affaire Houlette, enquête sur les avocats de Sarko, poursuites contre Thierry Solère, bavures policières étouffées, si l'on ose dire... il y en a pour tous les goûts, et tous les dégoûts. Mais, après tout, peut-être peut-on se réjouir de ce télescopage dans I ' actualité. Sans le vouloir, juges et procureurs nous offrent une séquence pédagogique : l'indépendance de la justice pour les nuls.
Les révélations d 'Eliane Houlette, ex-patronne du Parquet national financier, sur ses difficiles relations avec la procureure générale dans la gestion du dossier Fillon nous ont valu une plaisante tornade d'indignations. Garanties sincères. Après avoir fait mine de découvrir que les parquets sont hiérarchisés — c'est la loi —, quelques belles voix se sont élevées pour dénoncer ce lien pervers entre parquet et ministère de la Justice. Un lien intolérable : c'est sûrement pour cela que ni la gauche ni la droite n'y ont touché quand elles étaient au pouvoir. Chacun son tour d'en user et d'en abuser.
Suite du show judiciaire : la folle histoire du téléphone de M. Bismuth. On apprend que le parquet, à la recherche d'une taupe qui aurait informé Sarko et son avocat, a ouvert en douce une enquête préliminaire qui peut se « préliminer » pendant des années. Sous la seule autorité du parquet, sans contrôle, sans avocat, sans débat. Le rêve... Cette procédure est tellement confortable qu'elle dévore peu à peu le terrain des juges d'instruction. Selon Eliane Houlette, 80 % de l'activité de son parquet. Sous ce régime tranquille, les magistrats ont laissé la police éplucher des centaines de relevés téléphoniques. Il suffisait de figurer sur une liste pour être à son tour l'objet de soupçons et de recherches. Un peu comme le Covid, par contagion. Et ce n'est pas fini.
Erreurs magistrales
Le « JDD » nous apprend que la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a transmis, en juin 2018, au bureau de I 'Assemblée nationale une demande de levée d'immunité parlementaire visant Thierry Solère truffée d 'erreurs et de sornettes. Il est écrit, par exemple , que, pour justifier des acquisitions, le député a inventé toute une série de prêts bancaires. Mais un PV de la police judiciaire, rédigé près d'un an plus tôt, mentionne une réponse écrite de la BNP qui confirme la réalité des emprunts. « Le Canard » avait déjà relevé dans la même affaire que la requête adressée à l' Assemblée par la Direction des affaires criminelles du ministère de la Justice mettait même en cause un haut magistrat, le juge Roger Le Loire, de façon totalement erronée. Cela fait un peu beaucoup.
Toutes ces glorieuses affaires ont en commun d'avoir été conduites par des procureurs et non par des juges. Et voilà relancé I 'éternel débat sur l' indépendance des parquets. « Couper le cordon » avec le ministère de la Justice ? Cette idée a ses partisans. Mais comment poursuivre et juger « au nom du peuple français » avec pour seul titre d'avoir réussi l'examen d'entrée à l'Ecole de la magistrature ? La République peut-elle laisser un corps s'autogérer ? La fonction de magistrat n'est pas tout à fait, comme l'a dit un avocat célèbre, « un petit métier pour de petites gens ». C'est aussi un redoutable pouvoir. Son action — ou inaction — peut changer le cours de l'Histoire, comme peut-être avec I 'affaire Fillon. Mais on a vu aussi, cette semaine avec les fadettes et les écoutes, quel détestable usage peut en être fait…
« La souveraineté appartient au peuple », nous dit le texte fondateur de la République, et « nul individu ne peut exercer d 'autorité qui n'en émane expressément ».
Si le lien devait être rompu entre magistrature et Chancellerie, il faudrait inventer aussitôt une instance démocratiquement constituée pour rétablir le lien et ne pas créer un canard sans tête. Sans quoi la prétendue « indépendance » de la magistrature restera une baliverne, une mauvaise farce tant que le ministère tiendra la laisse courte grâce à la maîtrise des nominations.
Il ne reste plus qu'à trouver le gouvernement qui renoncera à ce privilège, et aux petites cuisines qui vont avec. Cela fait plus de deux siècles qu'on l'attend.
Patience...Louis-Marie Horeau
Des magistrats mal réveillés
EMMANUELLE LEBÉE, la juge qui présidait la 8" chambre de la cour d'appel de Paris, ce 18 juin, a-t-elle mal positionné son masque ? L'aurait-elle placé sur les yeux ? C'est ce que suggère la décision absurde rendue dans un litige, vieux de plusieurs années, qui oppose « Le Canard » au milliardaire franco-israélien Benny Steinmetz. Après de multiples et parfois étranges péripéties, le 5 septembre 2018, la cour d'appel de Versailles a lourdement condamné le Palmipède pour diffamation. Naturellement, nous avons formé un pourvoi en cassation.
Mais, fort de cette première décision, Steinmetz a pratiqué des saisies sur les comptes du « Canard » : normal. Le Volatile s'y est opposé : de bonne guerre. Or voilà que, le 7 janvier dernier, la Cour de cass annule purement et simplement l'arrêt de la cour d'appel. Plus de condamnation, plus de dette pour « Le Canard » Toute l'affaire sera rejugée, probablement à l'automne. Les juges chargés d'examiner la validité des saisies n'avaient donc qu'à constater, en trois lignes, que Steinmetz n'avait plus aucun titre pour nous réclamer le moindre centime.
Las ! les magistrats de la 8e chambre n'ont même pas pris la peine de jeter un œil sur le dossier préparé par notre avocat, Jean-Marc Fédida, dans lequel figurait naturellement l'arrêt de cassation. Résultat : « Le Canard » est condamné à payer des sommes qu'il ne doit plus, et, pour faire bonne mesure, la cour rallonge la facture de 5 000 euros.
Que les âmes sensibles se rassurent : cette sorte de boulette n'a aucune conséquence sur la carrière des magistrats.
L.-M. H.
Beauvau et Vendôme à la noce
IMMENSE doit être l'espoir des policiers et des magistrats avec la nomination de Véronique Malbec, devenue directrice de cabinet du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. Il ne l'a sûrement pas choisie, puisque, à de rares exceptions près, c'est l'Elysée qui décide pour les ministres. La haute magistrate, passée par tous les postes de la Chancellerie ou à peu près, offre l'avantage d'être l'épouse de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale. Certains mauvais esprits y voient un conflit d'intérêts, compte tenu des bagarres de territoire incessantes opposant depuis des lustres la Justice et l'Intérieur. A la fin, c'est l'Intérieur qui gagne. Toujours ou presque.
Donc, en voyant les choses du bon côté, cette alliance conjugale pourrait-elle calmer les belligérants ? Ou même retourner la situation ? Donner à la Justice la chance de remporter, pour une fois, quelques arbitrages ? Ou entraîner des scènes de ménage ? Haletant suspense.
Tempête au dépôt
« J'Al PAS EU à manger », « On m'a rien donné à boire » , « J'ai pas eu mes médicaments »… Combien de fois entend-on, dans le box du tribunal de Paris, les détenus se plaindre des geôles du sous-sol ? Mais comment imaginer que, durant plus de deux années, entre 2017 et 2019, un groupe d'une douzaine de flics les a insultés, maltraités, voire volés et terrorisés, comme l'a révé é le 27 juillet StreetPress ?
C'est un brigadier-chef, Amar Benmohamed, qui a tout raconté au site d'infos, lassé d'alerter en vain sa hiérarchie. « Il a fait énormément de signalements, dit son avocat, Arié Alimi, et n'a reçu en retour que des ennuis et des brimades. »
Malgré la violence des faits rapportés — entre autres, cette policière hurlant dans le micro réservé aux annonces générales : « Debout, les bougnoules et les négros, c'est fini de dormir ! »—, il semble que le préfet de police n'en ait jamais informé le procureur de Paris.
Mieux valait sans doute taper sur les doigts du brigadier-chef et muter discrètement les salopards ! Du coup, le parquet de Paris s'est mis à examiner toutes les enquêtes menées sur les violences commises au dépôt depuis deux ans, afin de déterminer si certaines recoupent les dénonciations du brigadier. « Il est évident que, dans des cas pareils, nous démarrons systématiquement une enquête », y assure-t-on. En tout cas, la Préfecture de police va devoir expliquer son silence et ses retards à réagir.
Et sans hurler dans le micro !
D.S.